La chaudronnerie Taillefer investit et recrute encore
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Risqué pour une femme de reprendre une PME dans un secteur de la chaudronnerie réputé macho ? Ex-dirigeante dans la construction, un domaine tout aussi masculin, Gaëlle Pignet a négocié les obstacles en doublant en quatre ans les effectifs de Taillefer.
Une PME de moins de 50 salariés évoluant dans un secteur proche du BTP et à proximité de Caen. C’était le portrait-robot de l’entreprise dont rêvait Gaëlle Pignet, engagée dès 2018 dans un projet de rachat. Ayant quitté la société familiale d’exploitation de carrières Girard et Fossez qu’elle codirigeait depuis dix ans, Gaëlle Pignet ciblait une affaire lui permettant d’utiliser son réseau très fourni dans le secteur de la construction. Ainsi espérait-elle rendre la transition plus facile.
Le dossier Taillefer, spécialiste des silos pour l’agroalimentaire et le BTP, que lui présente alors un cabinet d’intermédiation coche toutes les cases. « J’ai eu un coup de coeur. Avec ses grosses machines et ses ateliers cathédrales, j’avais l’impression d’être comme à la maison », se remémore Gaëlle Pignet.
Dans ce milieu essentiellement masculin, elle a négocié les obstacles. Trois mois après le premier contact, elle décrochait les crédits bancaires pour acquérir cette chaudronnerie industrielle du Calvados (40 salariés à l’époque) avant le passage de témoin officiel le 1er janvier 2019. Entre-temps, elle obtenait le soutien de l’association Réseau Entreprendre, avec un prêt d’honneur à la clé, très utile pour boucler son plan de financement, la transaction atteignant « plusieurs millions d’euros ».
Diversification de la clientèle
Mais dans une reprise, il est rare que les choses se passent comme prévu. Au bout d’un an, les machines se révèlent à bout de souffle et accumulent les pannes. « Pour rendre la mariée plus belle avant la vente, des économies avaient été faites sur la maintenance au détriment de la fiabilité de l’outil de production », soutient la présidente qui a dû revoir en urgence ses plans.
Depuis, 90 % du parc de machines est renouvelé et les locaux agrandis pour un investissement global de 3,5 millions d’euros. Pour financer l’opération, menée en pleine pandémie, la dirigeante a bénéficié des aides de la Région Normandie et de l’Etat dans le cadre du plan gouvernemental France Relance. Mais dans le même temps, d’autres formes de résistances ont surgi.
Au tout début, les salariés, des hommes pour la plupart, n’étaient pas enthousiastes à l’idée de voir une femme prendre les commandes de la société. Jusqu’à ce que la nouvelle patronne, au côté de son mari ingénieur des Mines et directeur technique, fasse ses preuves en diversifiant avec succès la clientèle. Constructeur reconnu de silos, Taillefer développe maintenant une activité de rénovation. Et, en plus des centrales à béton, réalise des projets pour les travaux publics et le secteur du traitement des déchets. « Sans cette diversification, l’entreprise serait déjà morte », assène la dirigeante.
Un « souffle nouveau »
Loin s’en faut. En quatre ans, la société caennaise est passée de 8 à 15 millions d’euros de chiffre d’affaires et les effectifs de 40 à près de 80 salariés tout en maintenant sa rentabilité .
Et, à l’heure où, selon une récente étude de Pole Emploi, la chaudronnerie fait partie des dix métiers où les recruteurs peinent le plus à embaucher avec un taux de difficulté de 82%, elle met désormais le paquet sur l’apprentissage afin d’intégrer de nouvelles compétences. Dès la semaine prochaine, sept apprentis dont deux femmes vont rejoindre la société. Tandis que dix postes sont encore à pourvoir.
Aux yeux de Gaëlle Pignet, être une femme dans un milieu réputé masculin est un « élément différenciant », la promesse d’un « souffle nouveau » qui peut vous offrir des opportunités dès que les résultats sont probants. Ainsi, l’UIMM* locale (Normandie Sud) lui a proposé de devenir sa vice-présidente, fonction qu’elle occupe depuis avril 2021. « Quand on débarque dans un secteur que l’on connaît mal, il faut savoir être à l’écoute et jouer collectif. Les solutions viennent souvent du terrain », conclut l’entrepreneuse normande. Un conseil à suivre… que l’on soit homme ou femme.
*Union des Industries et Métiers de la Métallurgie
Article des Echos du 31 août 2023 – Journaliste Bruno Askenazi